Je vous avais promis de vous faire profiter de nouvelles pages du savoureux bouquin de Jean-Louis Fournier, qui se moque, parfois férocement, de sa vieillesse et de la nôtre par la même occasion. Je vous invite ici à compatir.
J'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois pour éteindre les soixante bougies. Tout le monde rit dans mon dos. Je pense qu'ils se foutent de ma gueule. Je n'arrive pas à croire que j'ai soixante ans. Pourtant, j'ai eu soixante ans pour m'y préparer. J'aime de moins en moins les anniversaires, surtout le mien. Je n'ai pas besoin de cadeau, j'ai tout. Mon tiroir déborde de cravates que je ne mettrai jamais. J'aimerais que tout le monde parte, j'ai envie d'aller me coucher. Je n'aime pas les gâteaux, le champagne tiède et j'ai peur des compliments. J'imagine le pire : la petite fille endimanchée qui va venir me chanter : "Voulez-vous danser grand-père, tout comme au bon vieux temps, quand vous aviez vingt ans, sur un air qui vous rappelle combien la vie était belle..." La vie était belle, les bons souvenirs remontent à la surface, ils sont plus légers. Les mauvais, les plus lourds, restent au fond. Je sais que je vieillis, ce n'est pas nécessaire de me le rappeler chaque année. Y a pas de quoi faire la fête. Ou alors une fête sinistre sans champagne ni gâteau, avec l'Adagio d'Albinoni, tout le monde en noir et condoléances : "J'ai appris que aviez un an de plus, je voulais vous dire que je suis de tout coeur avec vous."